"Les chroniques de Philippe Meirieu"
Et le Café pédagogique
Extraits
Qu’on me permette ici un exemple et un souvenir personnel : enseignant de lettres-histoire en lycée professionnel, j’avais, comme tous mes collègues, de grandes difficultés pour faire entrer calmement mes élèves en classe et construire le collectif de travail. À chaque intercours, je voyais se précipiter une horde d’adolescents qui se bousculaient et bousculaient le mobilier dans un brouhaha infernal, s’installaient sans quitter leurs manteaux et se mettaient à discuter, voire à s’activer à tout autre chose que le cours que je tentais de présenter en m’époumonant en vain ! Je décidai de mettre alors en place un rituel assez contraignant, aussi bien pour les élèves que pour moi : avant chaque heure de cours, j’inscrivais une courte citation littéraire au tableau ; je me tenais ensuite à la porte et ne faisais rentrer les élèves qu’un à un, en les saluant et en leur demandant de s’installer, de sortir leur « carnet de citations » et d’y noter celle qui leur était présentée. J’exigeais d’eux ensuite, pendant cinq minutes silencieuses, qu’ils apprennent par cœur la citation inscrite… Et le mois suivant, je confiais aux élèves eux-mêmes, chacun à leur tour, le soin de choisir une citation et de venir l’inscrire au tableau avant l’arrivée de leurs camarades… Contre toute attente, ce qui m’apparaissait presqu’impossible se mit à fonctionner assez vite et fort bien. Non que j’eus trouvé « la solution miracle », mais parce que ce rituel étais, je crois, simultanément, une manière de réguler l’entrée dans la salle et de fixer l’attention de manière collective, de donner un signal sur ce qui était attendu de chacune et de chacun, tout en faisant découvrir le plaisir de mémoriser quelques belles formules aux élèves (qui, au passage, enrichissaient leur vocabulaire, leur syntaxe et leurs références culturelles). (3)
Que retenir de ce trop bref développement ? Que les rituels sont fondamentaux dans l’éducation, mais qu’ils ne valent que pour ce qu’ils autorisent. Et pour ce à quoi ils permettent d’accéder : la réflexion et la pensée, l’inscription dans un collectif solidaire qui brise la juxtaposition des individualismes, qui permet de suspendre la réaction pulsionnelle et de découvrir que ce à quoi l’on renonce ainsi est bien peu de choses au regard de ce à quoi l’on accède : la reconnaissance de l’appartenance, la certitude d’avoir une place et d’être protégé, la garantie de pouvoir y développer sa liberté.
Inventer des rituels éducatifs pour aujourd’hui (...)
Pour lire la suite, voir l’article.
Et les notes de l’article sur les rituels :
(1) Voir la chronique d’Eveline Charmeux sur son blog : « Sur des obligations et des menaces de sanction, on ne peut rien construire » :http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2015/01/24/258-sur-des-obligations-et-des-menaces-on-ne-peut-rien-construire
(2) Voir sur le site de l’Association française Janusz Korczak : http://korczak.fr/m2enfants/tribunal/code-tribunal-korczak1.html
(3) Sur les rituels de construction de l’attention, voir mon article : « A l’école, offrir du temps pour la pensée » : http://korczak.fr/m2enfants/tribunal/code-tribunal-korczak1.htmlhttp://korczak.fr/m2enfants/t...
(4) Voir le site du Collectif pour l’éducation artistique et culturelle, « Pour l’éducation, par l’art » : http://www.educationparlart.com
(5) Voir Francis Imbert, Médiations, institutions et loi dans la classe, Paris, ESF éditeur, 1994.
(6) Voir, sur ces question, mon ouvrage Frankenstein pédagogue, Paris, ESF, 1996, en particulier, pages 110 et suivantes :http://www.meirieu.com/LIVRES/li_fp.htm