L’école ? Sans doute que non dans l’imaginaire de la plupart des enseignants et des parents.
Mais le jardin d’enfance ?
Une anecdote.
Une jeune maman récemment installée à Paris, se voit convoquée par l’institutrice maternelle de sa petite fille de 4 ans. L’institutrice justifiait cette invitation pressante par un « problème grave à régler avec les parents ». La maman inquiète se rend donc à l’école et s’entend dire : « Elle ne pense qu’à jouer ! ».
Fait isolé que cette réponse de l’institutrice ? Nous voudrions le croire… mais c’est non. Dans la mentalité de la plupart des enseignantes de la maternelle, le jeu n’a pas à tenir une place prioritaire.
Jouer est placé en opposition avec travailler, la preuve en est que l’école habituelle donne des … récréations où, enfin, les bambins peuvent s’adonner à leur élan de vie, que l’on retrouve sous toutes les latitudes, dans le jeu libre. Alors que ces récréations ne sont pas autre chose que la poursuite des jeux mais dans un autre espace et avec d’autres partenaires.
Aussitôt la récré terminée, l’école scolaire reprend ses droits. Fini de rire. Il faut apprendre à colorier sans déborder, découper droit, nommer les couleurs, encastrer juste … là, le jeu est connoté, dévalorisé, souvent réservé aux tout-petits de la crèche ou de la classe que l’on appelle d’accueil.
Le jardin d’Enfance, lui, donne toute sa place au jeu, une place primordiale car il considère l’activité ludique comme un aliment complet, propice à la croissance de l’intelligence, de l’émotivité et du sens des autres. Il apprend la vie en société et apprend à connaître et interpréter le monde.
Le jeu sollicité, enrichi par l’adulte et les autres enfants, marche de pair avec la communication verbale et non verbale dans une quadruple rencontre. C’est, en effet, une rencontre avec les paramètres du jeu (nouveauté, limites, intérêt variété des matériaux), avec ce que l’on est soi-même (en imitant, en inventant, en observant de ce qui se passe), avec la maîtresse riche de sollicitations sous forme de chiquenaudes données pour relancer l’intérêt et, enfin, le plus souvent, avec les autres dont il faut impérativement tenir compte.
Bref, ainsi chaque enfant découvre les potentialités de son environnement élargi car là, il n’est pas seul devant une feuille à remplir.
Le jeu, par ailleurs, est un merveilleux outil d’inter culturalité exprimée de façon non verbale et verbale. Là, les enfants sont des partenaires vivant l’égalité. Là seulement, l’idée de l’un peut valoir l’idée de l’autre, ce qui n’est pas vrai lorsque une certaine conception de la pédagogie amène l’institutrice à installer des exercices papier/crayon pour formater des ‘écoliers’. On sait d’avance, dans ce cas, qui va satisfaire et qui, déjà, va échouer.
Dans le jeu gratuit, l’enfant manifeste sa culture et la partage par l’expression. De ces échanges naîtra une culture que nous préférons appeler culture de paix, recréée au gré des expressions d’un imaginaire partagé. Culture toujours en mouvance sans la suprématie de l’une sur l’autre, créative et solidaire, surprenante de richesses insoupçonnées, à inventer chaque jour, donc passionnante. Celle-ci n’est pas justifiée par des comportements et des savoirs répertoriés intellectuellement venus des programmes scolaires mais plutôt en cohérence avec les 7 savoirs pour l’Education du Futur d’Edgar Morin.
Revenons donc au jeu au jardin d’enfance.
Comment donc reconnaître les éléments constitutifs du jeu/pulsion de vie, chantier d’apprentissages infinis tels que : durée, relief, résistance, consistance, température, excès ou carence, rareté, écologie, vitesse, accélération et décélération, épaisseur, masse, élasticité, tonalité, silence, émerveillement,responsabilité, partage, charme, humour, repos, risque, limites, solitude, tristesse, dépit, exaltation, estime de soi, confiance, non violence, écoute, empathie, confidence, secret, surprise, audace, respect…
Tout ceci, peu à peu, dans un espace, un temps, c’est-à-dire un climat :
– Ouvert à tous les possibles, il ne comporte pas de programmation externe.
– Fonctionnel, répondant à un besoin affectif, social, intellectuel de réaliser quelque chose qui a du sens pour l’enfant –« Je vais faire un bateau avec une bouteille en plastic pour les playmobils ».
– Volontaire, le verbe jouer ne se conjugue pas à l’impératif.
– Possédant ses règles, vécues et/ou transformées en commun.
– Vécu avec plaisir, son moteur indispensable.
– Symbolique et prenant racine dans le « faire semblant ».
– Encadré par un lieu et un moment spécifiques concertés.
– Eveillant le sentiment d’empathie, par le changement de rôle qui permet d’éprouver ses émotions et ensuite les émotions de l’autre.
Si nous jugeons que ces composantes sont légitimes et nécessaires, alors nous éviterons l’échec, aucun enfant ne sera perçu comme déficient.
Nous oublierons ces jeux coûteux, luxueux, qui obligent les enfants à ne suivre qu’une stratégie pour une ‘réussite’ ( ?) univoque.
Rabelais dénonçait déjà cette instruction artificielle qu’il appelait « l’art d’en sucrer les viandes ». A son époque, pas de réfrigérateur, partant, la viande était vite faisandée… à sucrer donc.
Livrons quelques pensées qui plaident en faveur du jeu au jardin d’enfance indemne.
« Deux choses empêchent l’enfant de jouer : la maladie et l’adulte ». (Moi)
« L’enfant qui joue à l’école maternelle s’initie à la vie scolaire …, et l’on oserait dire qu’il n’apprend rien en jouant ? » (Pauline Kergomard)
« Le jeu devrait être considéré comme l’activité la plus sérieuse de l’enfant » (Montaigne)
« C’est sur la base du jeu que s’édifie toute l’existence expérientielle de l’homme » (Winnicott)
« Le jeu et l’art sont des transformations de l’être avide d’exister » (Raimondo Dinello)
« L’enfant est un être qui joue et rien d’autre » ( Jean Château)
Jean Claude Arfouilloux précise que si, pour l’adulte le jeu est un divertissement, une distraction, il est vécu par l’enfant comme une activité sérieuse engageant toutes les ressources de la personnalité, activité par laquelle il s’expérimente et se construit.
« Au fur et à mesure que les enfants passent du bac à sable à la salle de classe, le jeu devrait être la pierre angulaire de leur éducation. La recherche est claire : La pédagogie par le jeu supporte les forces socio-affectives et scolaires tout en inculquant l’amour de l’apprentissage ». Centre d’excellence sur le développement des jeunes enfants – Hirsh-Pasek K, Golinkoff RM 2009)
Voilà qui conforte notre option en faveur de l’activité ludique ; cela fait du bien.
Pourquoi vouloir savoir ce que les enfants apprennent en jouant ? Notre croyance de la nécessité d’un apprentissage programmé, du plus simple au plus compliqué n’est-il pas la cause d’une certaine inquiétude ? Notre souci d’évaluer les compétences acquises, en voie d’acquisition, non acquises ne pollue-t-il pas notre désir et notre plaisir d’observer les enfants en train d’apprendre dans la joie et l’insouciance ? Est-il si difficile de laisser tomber nos mécanismes de défense ? Est-il si difficile de faire confiance à l’enfant, à son désir de grandir, à sa curiosité, à son esprit de recherche ?
Mais quand les enfants jouent qu’est-ce que je fais moi ?
Remettre son rôle en question paraît malaisé, perdre la place centrale par laquelle nous justifions notre fonction, devenir celle par qui le plaisir naît. Cela peut s’avérer insécurisant. Notre envie de paraître sérieux en se référant aux travaux universitaires, notre soumission souvent inconsciente aux dictats extérieurs de productivité calibrée, tout cela pourrait nous donner une certaine légitimité … mais au prix de combien de renoncements à une qualité de vie, à la poésie de l’enfance vue avec des yeux d’enfant ?
Donc si nous sommes persuadés que l’enfant apprend en jouant, que les cultures s’enrichissent de leurs expressions librement manifestées, il nous reste à réfléchir au comment mettre en œuvre ces richesses que sont le jeu et l’expression dans une assemblée de citoyens de la maternelle.
Enrichir l’imaginaire, nous en avons parlé ; associer les enfants aux décisions, nous en avons parlé ; organiser un milieu riche de découvertes spontanées, nous en avons parlé aussi.
Nous préciserons volontiers le rôle de l’adulte dans ce contexte.
Devenir Initiateur de la culture de paix :
– en refusant énergiquement toute exclusion de quelque type que ce soit. Pas de redoublement au jardin d’enfance, ce serait un non sens,
– en accueillant joyeusement les suggestions qui ne nous rassurent pas,
– en rejetant toute forme de punition pour préférer « arrêt sur image », une ouverture au dialogue. – « Que faire pour que ça n’arrive plus ? »,
– en acceptant l’expression des émotions même négatives (colère, cris, larmes) en précisant : « Tu veux nous dire que… ? »,
– en apprenant à chacun le rejet du passage à l’acte au profit de la verbalisation lors des conflits, en mettant des limites fermes et raisonnées aux comportements déviants.
Anecdote :
Au bac de sable, deux gamins jouent avec des petites voitures. Ils ont un matériel varié : cartons, ciseaux, marqueurs, cubes en bois etc. à leur disposition. Un a 5 ans l’autre 3. Soudains des cris et des larmes alertent l’institutrice : le plus jeune sanglote, le grand serre contre lui une petite voiture. _ « Que se passe-t-il ? » demande l’enseignante, _ « Y m’a pris ma voiture, celle de chez moi, dit l’aîné, alors je l’ai tapé pour qu’il me la rende » _ « Tu aurais pu la lui demander, rétorque l’institutrice, et pas le frapper » , _ « Oui mais mon papa y tape tout de suite, lui », _ « Tu aimes ça ? » _ « Non » _ « Et bien tu vois lui non plus. Tu aurais pu lui demander de te rendre ta voiture.
L’incident est clos, petit à petit, sans désavouer les parent aux yeux de l’enfant, tout en entendant le messages, l’adulte insiste pour une régulation pacifiée du conflit. Les enfants réconciliés se remettent à jouer. Cela s’est réglé entre les 2 enfants et l’adulte et ne fera en aucune façon l’objet d’une communication a l’assemblée des citoyens, ni à une dénonciation aux parents qui risqueraient de punir l’enfant à la maison . Secret professionnel oblige.
Observateur attentif :
– Lors des moments de grâce, lorsque tout se passe tellement bien, que l’on en souhaiterait presque l’irruption de la directrice(teur).
– Justement, on va prendre des photos, un film pour une réelle mise en mémoire du vécu d’activités joyeuses qui règne en ce moment, pour analyser ensuite le pourquoi de ce moment ‘suspendu’, pour alimenter une réunion de parents en suscitant l’admiration
– Observer n’est pas épier, déceler les indices de perte d’intérêt, de l’indigence du matériel, de regroupements inadéquats est différent d’épier les comportements individuels et de se persuader qu’un tel est agressif, un tel est paresseux, une telle est tellement charmante, qu’une autre est menteuse…
– « Quand ils me déçoivent qu’est-ce que je change dans mes pratiques ? (GFEN) ». Ce précepte devrait s’accompagner également de : « Quand ils me déçoivent qu’est-ce que je change dans mes attentes ? ».
Anecdote :
Dans une classe multi-âges nouvellement réaménagée, la bibliothèque n’a guère de succès. S’asseoir avec Madame pour l’écouter lire des histoires ? Oui. S’y installer seul ou en petits groupes pour regarder des livres ? Non. Les enfants apportent de temps en temps des magazines, des publicités… c’est tout.
Une idée germe dans la tête de la maîtresse « Et si, les enfants pouvaient s’emparer des livres pour jouer comme mes enfants faisaient étant tout petits ? ». Les livres sont triés on garde ceux qui ont des couvertures souples à la disposition de « jeux » éventuels, mais les plus fragiles sont écartés.
Qu’a-t-on observé ? Peu à peu les livres ont changé de place, on en a retrouvé dans la poussette des poupées, dans le coffre des « patinettes », au magasin, dans certains cartables… lls ont fait l’objet d’échange, de cadeau lors de visites au coin poupées, de vente au magasin… Et, oh merveille, petit à petit, les coussins de la bibliothèque se sont vus honorés de la présence d’enfants enhardis, ayant apprivoisé l’objet livre en jouant.
Initiateur de solidarité dans l’équipe :
Il s’agit de :
– Partager avec les collègues ses réussites, ses questions, ses peurs, ses avancées.
– Echanger des bons plans, des idées de jeu.
– Ouvrir au dialogue entre pairs.
– Echanger les classeurs d’idées, de recherche, de projets de petits groupes.
– Organiser des regroupements d’enfants entre classes pour s’ouvrir aux activités multi-âges.
– Prendre le risque de se livrer : sa culture, ses convictions, ses valeurs.
La culture de paix, en effet, ça se construit aussi entre adultes, ça s’apprend, de façon décomplexée et conviviale, ça donne du sens et ça réjouit.
Remarquons, en guise de conclusion, qu’en partant du jeu au jardin d’enfance, peu à peu, nous arrivons à un projet de société complexe mais passionnant.
Eugénie Eloy, mai 2012
eugenie.eloy chez live.be