Voici le début d’un texte que Bernard Defrance* vient de publier sur son site.
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Ainsi, dans les nouveaux programmes de l’école primaire, les principes de la morale et l’importance de la règle de droit sont notamment présentés au travers de maximes (« la liberté de l’un s’arrête là où commence celle d’autrui ») ou d’adages juridiques tels que « nul n’est censé ignorer la loi » (extraits du dossier de presse du ministère). Excellentes intentions et désastre prévisible en ce qui concerne l’intériorisation des exigences du vivre-ensemble par les enfants.
La maxime d’abord : il s’agit là d’une de ces bêtises très ordinaires que nous infligeons aux enfants dès que le déploiement de leurs énergies nous dérange. Cette prétendue maxime entérine, d’une part, la confusion entre l’exercice de la liberté structuré par la loi et le déploiement de la pulsion dans son immédiateté, et, d’autre part, la résignation à l’état de rapports de forces et de violences entre les individus. Si ma liberté devait s’arrêter au lieu où commencerait celle de l’autre, il y aurait inévitablement frictions aux frontières et nous serions dans la guerre des territoires, et comme un enfant ne peut grandir qu’à accroître ses prises sur le monde, son autonomie, c’est-à-dire ses libertés, lui infliger cette pseudo-maxime revient à le persuader qu’il ne peut en effet accroître sa liberté qu’au détriment de celle d’autrui, surtout si, par un surcroît de bêtise accablante de la part de gens supposés instruits, on prétend lui faire apprendre la maxime par cœur ! Ne pas s’étonner des résultats de cette bêtise meurtrière tels qu’on peut les constater dans les cours de récréation, dans les classes elles-mêmes, sur les plateaux de télévision, dans la guerre des bandes de quartier et celle des cabinets financiers à l’échelle de la planète. Envisager l’exercice de la liberté comme on envisage la conquête de parts de marché revient à promouvoir la pulsion de mort comme mode de rapports entre les hommes, puisque la concurence veut d’abord la mort de l’autre. Et la vocation de l’école n’est pas de former des tueurs.
En réalité, la mission de l’école est (devrait être) de faire découvrir aux enfants, par la mise en pratique de la loi, que cette loi permet (devrait permettre) l’articulation de nos libertés, que à deux, à plusieurs, on acquiert plus de pouvoirs et de capacités d’action que tout seul, que les plaisirs solitaires n’ont en effet qu’un temps, et que donc nos libertés peuvent s’accroître les unes des autres, s’allier dans la transmission de la vie, dans l’appropriation et la création culturelle, dans la recherche ensemble des solutions aux immenses problèmes à résoudre que nécessite de plus en plus l’état de la planète. Et enfin que l’idée même d’une liberté qui « s’arrêterait » est parfaitement idiote : jusques et y compris dans le domaine de la création humaine le plus tenu à des règles rigoureuses et incontournables, la mathématique, il s’invente à peu près, nous dit-on, trois cents nouveaux théorèmes chaque année ; et pour prendre un autre exemple : une fois que j’ai passé des années sur les règles du solfège et à développer mon habileté au clavier, je peux faire ce que je veux avec mon piano, sans limite. Mais rien ne m’oblige à travailler la mathématique ou le piano, rien ne m’oblige à vouloir cuisiner un lièvre à la royale (comptez trois jours au moins), ou à jouer au rugby, ou à me plonger dans les mystères de l’atome ou ceux de l’inconscient. Qu’un ancien doyen de l’inspection générale (et qui donc fut garant de la qualité de notre enseignement), devenu ministre, cède à la bêtise démagogique que constitue cette pseudo-maxime est tout particulièrement accablant quant à ce que cela révèle (mais on le savait déjà bien sûr, au moins depuis Rabelais et Montaigne...) de décalage possible entre instruction et intelligence. L’école devrait (et c’est heureusement ce qui se passe - quand même ! - dans de nombreuses classes aux pédagogies actives et coopératives) permettre à l’enfant devenant élève, s’élevant, de découvrir que sa liberté commence au moment où commence celle de l’autre, par fécondation réciproque : découverte permettant de sortir, par l’instruction, de la violence.
* Bernard Defrance, professeur de philosophie retraité,
Livry-Gargan, le 2 mars 2008.