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JARDIN D’ENFANCE (4) : Faits de vie - Anecdotes
Article mis en ligne le 9 mai 2012
dernière modification le 6 décembre 2012

Entrons dans un jardin d’enfance imprégné des principes de l’Education Nouvelle.

Première surprise, trois locaux communiquent par de larges baies ouvertes. « On peut aller partout » nous disent les enfants.

Second étonnement, deux institutrices, bien formées, (s’) occupent (de) 50 bambins aux âges mélangés (de 2 ans1/2 à 6 ans), dans un co/titulariat permanent.

Va-t-on commencer par dire aux enfants ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire en arrivant le matin ?

Pas du tout.

1. La journée commence par une réunion de parents, une troisième initiative heureuse. Ceux-ci habitent un quartier de ville délabré, beaucoup sont au chômage ; leur participation est importante grâce à un rituel de communication répété matin après matin.

Mais que font les enfants si les maîtresses sont en réunion ?

Il faut savoir qu’ici, les enfants accèdent directement à leur classe dès leur arrivée. Ils s’y activent immédiatement sans dépendre des adultes. Ce sont eux qui savent quel jeu, commencé la veille, les attend. La communication avec les parents est faite, dans la détente, l’écoute, la confiance et la discrétion : l’accent est mis sur l’admiration que les enseignantes ressentent pour chaque enfant ; jamais on n’entend dénigrer tel petit, dénoncer tel manquement (secret professionnel), Cette option vise à renforcer l’image narcissique des parents. Ceux-ci sont fiers et heureux de l’épanouissement des jeunes, ils ne ressentent pas le contact avec le jardin d’enfance comme un geste mécanique froid : pas de dépôt d’écolier à l’anonymat de la barrière…

Donc de nombreux parents, des mamans, des pères, des frères, des sœurs (interprètes !) sont là. Des élèves s’y mêlent parfois pour raconter leur vie, leurs projets, montrer des photos, des réalisations qui les enthousiasment.
Un papa prend un jour la parole :

 Dans la famille, dans le quartier, on dit que Kévin est un génie, mais moi je réponds : « Allez voir à l’école du gamin, ils sont tous des génies ! » Applaudissements du public…

2. Même école, même structure. Voici un moment privilégié où la pensée s’organise sous l’impulsion des adultes.

La base 5 :

Voilà des enfants qui se mettent directement aux activités programmées la veille. Trois élèves d’âges différents occupent le magasin « turc » organisé la semaine précédente.

Des cris fusent : 

- « Oh, il y a des vraies boîtes, avec des vraies choses dedans ! »

L’institutrice, Marie, qui a rendu le milieu stimulant, s’approche :
- Qu’allez-vous en faire ? 

- On va les manger tiens !

- Tout ? Pour vous tout seuls ? 
 
- Non on va partager… 

 - Comment ?

Une suggestion d’une petite fille : « Chez ma maman, on a fait des petites piques avec des choses à manger piquées dessus, pendant que les papas eux, ils boivent de la bière »

- Ah tu veux dire des petites brochettes ? 
 
- Oui 

Les trois protagonistes sont d’accord. On v a faire des brochettes pour la collation. Et ils commencent à compter les élèves.
- « C’est trop, on n’arrive pas à compter, ils bougent tout le temps, c’est plus que 13 »

Marie intervient : « Vous savez compter jusque combien ? 5 est la réponse du plus jeune du trio. Bon, dit Marie alors je vous propose ceci :

- Voici une boîte avec des bouchons et un panier, chaque fois que vous avez compté 5 enfants, vous mettez un bouchon dans le panier.

- Fastoche ! 

Et notre trio se met en route. Pendant ce temps-là les autres enfants s’activent à des activités variées préalablement choisies faites de jeux essentiellement. Nous les retrouverons réunis pour la dégustation.

Les « compteurs » sont autour d’une table, les boîtes de fruits ouvertes, les cure-dents sur une assiette et les bouchons dans le panier. Une maman entre à ce moment, elle remarque le trio au travail et dit : « Ah oui, les bouchons c’est pour que les fruits ne glissent pas ! » « Non, on a compté, maintenant chaque fois qu’on prend un bouchon on doit faire 5 brochettes »

Les petites mains s’affairent, plus ou moins habiles… il y a 9 bouchons.

« Avez-vous compté Mélissa et Jalila qui viennent d’arriver ? » demande l’institutrice. – « Non » répond la plus jeune (3 ans) et elle prend 2 bouchons et les ajoute au panier…
Un aîné intervient : « C’est beaucoup trop, on va plutôt mettre deux allumettes ».

3. Ecole de ville, classe composite (de 2ans1/2 à 6 ans) 28 élèves.

C’est le moment de regroupement après l’arrivée de tous et les premières activités libres dans un milieu organisé la veille.

Claire, l’institutrice, prend la parole après les préambules : le jour, les éphémérides, les anniversaires éventuels… « La semaine dernière vous aviez dessiné et écrit ce que vous aimeriez apprendre… Où en sommes-nous ?

- Pierrine dit : « Je voulais apprendre à faire des crêpes avec Mathilde et Lola, mais c’est fait, tu peux enlever le dessin ».

- Enzo déclare : « On voulait apprendre les règles du foot mais il pleut encore, ce sera pour demain…peut-être ! Tu laisses le dessin ».

- Corentin : « Je voulais apprendre à plier un avion pour qu’il vole, mais mon frère me l’a appris, tu peux enlever le dessin…Non, écris dessus que je veux bien l’apprendre aux autres » des cris fusent : Moi ! Moi ! Moi et Claire écrit les noms des amateurs.

Et la suite des désirs non encore réalisés se poursuit. _ Dans ce regroupement, les idées des uns nourrissent les désirs des autres, c’est sans fin.
Le plaisir d’apprendre est présent augmenté par le partage des rôles d’initiateurs à initiés, la maîtresse n’étant plus le seul recours des propositions ni des références. L’apprentissage mutuel se réalisera d’autant plus facilement qu’aucune hiérarchie ne sera mise entre les souhaits. C’est aussi bien d’apprendre les règles du foot, que de faire des crêpes, que de plier des avions, que de lire tranquillement, que de résoudre une énigme.

Le mélange des âges stimule le penchant naturel des petits à vouloir imiter les grands, c’est évident. Une classe uni/âge des petits serait appauvrie, moins gaie car coupée d’une fameuse source d’énergie venue des grands, ces fins connaisseurs des ressources du milieu qu’ils fréquentent depuis deux ans.

J’ai 6 ans

Mais aujourd’hui, voilà que le temps manque pour répondre aux projets individuels ou par petits groupes. Marie et Claire relancent alors le projet collectif : organiser une représentation théâtrale pour la fête de l’école. Celle-ci s’inclura dans le temps géré par tous, le plus naturellement du monde, le plus aisément en sous-groupes hétérogènes.

Théâtre improvisé

On peut toujours exprimer ses désirs ou ses refus, les expliquer, les situer, les organiser verbalement pour être compris de tous, les structurer dans le temps. On peut toujours oser prendre la parole, s’assurer de l’écoute de chacun, être certain d’être accueilli et accepté avec ses idées parfois venues d’ailleurs. On peut toujours se confier à un adulte bienveillant qui ne punit jamais mais, dans le dialogue, pose et explique les limites dans les initiatives, les droits et les devoirs de chacun.

Bref, une vraie culture de paix s’installe dès le jardin d’enfance.

Et les « tout-petits » alors ?

Qui s’en occupe ? Ne sont-ils pas abandonnés ? _ Ils vont, viennent, observent, imitent, écoutent, s’initient aux techniques souvent maladroitement. Ils font comme les grands, nous l’avons dit, mais… autrement.

_ Ils sont le plus souvent dans l’exploration créatrice libre, exploration du matériel, exploration des comportements des aînés, exploration des structures du langage habituellement déjà élaborées à 5 ans.

Ce n’est pas toujours le cas ? Le vécu hétérogène des facultés langagières, hétérogénéité due aux âges différents, aux sollicitations familiales plus ou moins structurées ou à une langue maternelle différente de celle de l’école. Cette hétérogénéité est moins culpabilisante, ‘clivante’ parce qu’elle fait partie du vécu quotidien et est acceptée comme un moment dans le processus de perfectionnement de la parole.

Il importe de parler à un enfant, de lui lire des histoires, comme s’il comprenait tout, parce qu’il comprend beaucoup, de ne pas attendre qu’il parle lui pour lui parler à lui, comme au début de la vie, la maman n’attend pas que son bébé parle pour lui parler, en n’oubliant pas évidemment le langage non verbal et le langage des émotions. S’adresser à un enfant s’avère plus efficace que bien des leçons dites de langage où l’adulte risque de monopoliser la parole aidée en cela par les petits « ténors » de la classe.

Eugénie Eloy, mai 2012

eugenie.eloy chez live.be

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